Vœux
définitifs de Frère Estephan Trappiste d’Orval
Choisir
entre le mariage et la vie monastique »
Frère Estephan Nassr (38 ans), ayant la
double nationalité libanaise et syrienne, a récemment prononcé ses vœux
définitifs. L’histoire d’Abraham – « quitte ton pays, ta famille et ta
parenté, et va vers le pays que je te montrerai » (Genèse 12,1) – résonne
pour lui d’une façon tout à fait particulière. Tertio y était lorsque le jeune
moine a choisi de façon définitive la communauté des trappistes d’Orval.
« Je viens d’une famille grecque catholique de
11 enfants. À la maison nous étions 7 frères et 4 sœurs. Pour la culture arabe
dans laquelle j’ai grandi, la famille occupe une place centrale. Se réunir est
important : pour boire ensemble le café – ou autre chose si tu n’aimes pas
le café – ou simplement pour bavarder. Le dimanche surtout, être ensemble en
famille est essentiel. Ces moments communautaires consolident le lien mutuel.
Marqué par la guerre
Ma double nationalité libanaise et syrienne est due
à la situation précaire de la région. Ma jeunesse a été marquée par la guerre.
Quand j’étais enfant nous avons déménagé du Liban vers la Syrie, mais pour mes
études de droit civil nous sommes retournés au Liban. Dans ces pays beaucoup de
religions vivaient autrefois côte à côte de façon pacifique. Maintenant,
malheureusement, c’est moins le cas. Actuellement je préfère ne plus suivre les
nouvelles comme autrefois, parce que cela me fatigue et m’attriste.
Choix difficile
Comme jeune homme, j’ai dû faire un choix :
allais-je me marier et fonder une famille ou devenir moine ? À ce moment,
je n’avais pas encore trouvé de vraie stabilité dans ma vie, et ce n’était pas
clair pour moi. C’était vraiment moitié-moitié. En plus, j’étais bien
catholique mais pas vraiment pratiquant. J’aurais tout aussi bien pu me marier
et devenir père car j’aime beaucoup les enfants. Lorsque, voici 10 ans, je suis
entré dans le monastère trappiste de Saint Sauveur dans la région de Beyrouth,
je n’étais pas encore complètement convaincu de ma démarche. Ce qui fit le
déclic n’était pas tellement la réponse sentimentale ou intellectuelle, mais
bien mon expérience : je me sentais à mon aise dans la vie de moine.
C’était là pour moi un signe que Dieu me soutenait de Son Amour.
Chez moi à Orval
Le monastère au Liban connut une
période difficile. Au début, l’intention était de rester temporairement à
Orval, mais lorsque le monastère de Saint Sauveur fût finalement obligé de
quitter l’Ordre des Cisterciens de la Stricte Observance (appellation
officielle des Trappistes), la perspective changea. Je me sentais de plus en
plus chez moi à Orval. Ce qui m’attire ici depuis le début c’est la beauté du
lieu, et l’ouverture de la communauté. Je me sens vraiment apprécié par mes
confrères, de qui j’ai appris énormément de choses. Nous vivons à 14 frères de
8 nationalités différentes. Cette diversité est une grande richesse. Apprendre
le français, était une raison de venir à Orval. C’est drôle que cela ait pu se
faire dans un ordre « silencieux » (rire).
Dispersés
La famille dans laquelle j’ai grandi s’est
dispersée dans le monde entier. Pour ma sœur en Australie c’était un peu loin
d’arriver jusqu’ici. Trois frères sont venus de Suède. Deux frères qui sont
aussi là bas n’ont pas obtenu les bons papiers. Cela faisait 20 ans que je
n’avais plus vu mon frère de Suisse. L’une de mes sœurs aînées est handicapée
depuis des années. Ma mère est restée près d’elle. Elle n’a donc pas pu venir
non plus. C’est la première fois en 20 ans qu’autant de membres de la famille
ont pu se réunir, même si ce n’était encore que la moitié de la famille. Que
cela ait pu se faire à l’occasion de ma profession solennelle, me conforte dans
la conviction que j’ai fait le bon choix. Pour mon père, au début, mon choix de
devenir moine était difficile à accepter. Le jour de ma profession, pendant la
procession des offrandes, il apporta les offrandes à l’autel avec moi. C’était
comme si, en faisant cela, il me donnait moi-même à la communauté d’Orval. Ce
moment m’a profondément touché.
Service
Mon nom civil est Dani, mon nom de baptême est
Stephan, qui est le nom arabe de « Etienne », le premier diacre. Le
service diaconal du lavement des pieds m’est très cher pour ma vie de moine. Je
l’ai donc choisi comme évangile pour ma profession. Les autres lectures aussi
relèvent d’un choix conscient. L’histoire d’Abraham – la première lecture – est
mon histoire. Les paroles que Dieu lui dit, il les dit aussi à moi :
« quitte ton pays, ta famille et ta parenté et va vers le pays que je te
montrerai ». C’est toute une mission, mais je l’accepte parce que j’ai
conscience que c’est Jésus qui me donne la joie. Et la deuxième lecture était
de Paul. J’ai longtemps vécu à Damas où j’allais à l’école et j’habitais dans
la Rue Droite. C’est la rue où Paul, après sa conversion, a été reçu par
Ananias. Avec mes vœux définitifs, le chemin n’est pas terminé. Notre
communauté accorde beaucoup d’importance à la formation permanente. C’est
pourquoi je vais suivre à la fraternité de Tibériade, à Lavaux-Ste-Anne, la
première année de formation théologique.
Paix
Jamais je n’ai fait un choix aussi conscient,
jamais je n’ai réfléchi et médité aussi longtemps sur une décision. Finalement
cela a duré 10 ans. J’ai choisi une vie de célibat et ne connaîtrai donc jamais
la grâce d’avoir des enfants à moi. Cela a été un combat permanent, mais j’ai
appris à ouvrir mon cœur aux enfants des autres. Quand je vois mes neveux et
nièces, je les aime comme s’ils étaient mes enfants. Telle est aussi la grâce
de la vie monastique : l’amour que l’on peut éprouver pour tous les
hommes. Finalement c’est cela qui compte. Cette pensée m’a apporté la paix
durant les dernières années et me rend simplement heureux. »
Première profession perpétuelle depuis
20 ans
Les vœux perpétuels de frère Estephan Nassr sont un
moment particulier non seulement pour lui-même, mais aussi pour toute la
communauté des trappistes d’Orval qui est à la fête. « C’est la première
fois en 20 ans que nous célébrons une profession solennelle, dit le père-abbé
Lode Van Hecke. C’est quand même très spécial, certainement pour les jeunes
moines, car ils n’ont encore jamais vécu cela. Mais pour le reste de la
communauté aussi, bien sûr, c’est un événement joyeux ». Pendant son
homélie le père-abbé montre que la suite du Christ dépasse nos capacités
humaines. « Qui pourrait soutenir cela longtemps rien qu’avec ses propres
forces ? » Dans la lecture de l’évangile du lavement des pieds Jésus
donne lui-même la signification essentielle de la vie monastique :
« nous ne devons rien inventer : l’appel et l’exemple viennent de
Jésus lui-même. Si lui-même n’était pas le point de départ et le point final,
notre générosité ne serait qu’une quête de nous-mêmes. Au lieu d’être moine,
nous jouerions au moine. Nous sommes ici pour trouver notre bonheur en Dieu. En
lui nous cherchons – et nous trouvons – le visage de Jésus. Nous sommes moines
pour devenir ‘participants de Lui’. Les trois figures des lectures choisies –
Abraham, Paul et Jésus – t’accompagneront toujours et te rendront libre pour
aimer », dit l’abbé à frère Estephan. « Libre pour donner, libre pour
par-donner (ce qui veut dire : donner à l’extrême). C’est à cette liberté
que tu es aujourd’hui appelé. »
Fr
Estefan Orval