Pentecôte
Derrière le récit de la
Pentecôte, tel que nous le décrit le Livre les Actes, et que nous
avons comme première lecture de la Messe d’aujourd’hui, se
profile en filigrane l’histoire de la tour de Babel et l’origine
de la multiplicité des langues.
Cependant, pour bien
percevoir le lien entre les deux récits, il ne faut pas faire du
récit de Babel une lecture de type colonial, où l’unicité de la
langue apparaîtrait comme un idéal et la multiplication des langues
comme un châtiment divin. En réalité le sens du récit (au
chapitre 11 du livre de la Genèse) est tout différent. Il
s’agissait d’une critique de la prétention de Babylone à la
domination universelle. La multiplication des langues mit fin à
cette prétention. Par cette affirmation de leur différence les
hommes se sont libérés de cette hégémonie. La construction de la
tour qui prétendait s’élever jusqu’au ciel fut arrêtée et
chaque peuple découvrit et affirma son identité propre.
Ce qui se produit le jour
de la Pentecôte, ce n’est pas un miracle transformant les Apôtres
(et tous les disciples présents, qui sont au nombre de 120, il ne
faut pas l’oublier – cf. Actes 1,15) en autant de polyglottes
parlant toutes les langues. Le miracle se produit plutôt chez les
auditeurs. (C’est d’ailleurs la même chose que dans tous les
récits d’apparitions – anciennes ou récentes. Ce qui se produit
se produit toujours dans le voyant et non pas à l’extérieur de
lui). Dans notre récit de la Pentecôte, chacun entend le message
dans sa propre langue. Et Luc prend plaisir à établir une longue
liste des peuples d’où proviennent tous ceux qui reçoivent le
message : ce sont des Parthes, des Mèdes, des Élamites, etc. etc.
(C’est ainsi que sont nées dès les premières années après le
Christ les Églises de la diaspora, comme celle d’Égypte, qui sera
une terre si fertile pour le monachisme quelques siècles plus tard)
Je ne puis m’empêcher
ici de penser à cet admirable passage du « Testament » de
Christian de Chergé quand, il parle de sa « lancinante curiosité »
de voir ses frères de l’Islam à travers les yeux de Dieu, tout
illuminés de la gloire du Christ, [et] ... investis par le Don de
l'Esprit dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion
et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
Dieu nous a tous faits
différents les uns des autres. Cette différence, qui est l’une
des caractéristiques de notre beauté comme créatures, est très
importante aux yeux de Dieu, qui la respecte et y prend plaisir. Si
nous nous regardons mutuellement avec les yeux de Dieu, nous
admirerons et respecterons cette différence. Cela vaut des
personnes. Cela vaut aussi des peuples et des nations.
Ce message vaut aussi
pour tous les temps. Il assume une signification et une importance
toute nouvelle en notre temps. A Babel, tous parlaient la même
langue et étaient réunis dans un même projet -- un projet qui
portait en lui-même la source de leurs discordes et de leurs
divisions. La Pentecôte est au contraire le symbole d'un idéal de
rencontre de toutes les cultures – y compris leurs approches
religieuses particulières -- dans le respect mutuel des différences
dont la grande diversité constitue la richesse même du monde créé
qui représente ainsi les diverses facettes de la beauté de Dieu.
L’Église d’aujourd’hui
est confrontée au même défi. Dans les années qui ont suivi la
Réforme protestante et la Contre-Réforme, jusqu’à Vatican II,
diverses causes ont provoqué un mouvement d’uniformisation gommant
les différences. Vatican II a réaffirmé l’importance d’annoncer
le message de telle sorte que chaque peuple et chaque culture le
reçoive dans sa langue, c’est-à-dire dans le respect de tout ce
qui fait sa différence culturelle. Après Vatican II on a beaucoup
parlé de l’option préférentielle pour les pauvres ; de nos jours
il faut peut-être se soucier de l’option préférentielle pour la
différence. L’Église née le jour de la Pentecôte se doit d’être
une présence humble et respectueuse au sein de chaque peuple et de
chaque groupement humain, et non la branche religieuse de quelque
forme que ce soit d’hégémonie.
Pour cela chacun de nous
doit s’ouvrir à l’Esprit Saint qui veut faire en nous sa
demeure. C’est le thème de l’Évangile d’aujourd’hui.
Fr Marie-Robert (osco)
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